INTERVIEW

Laurent Tillon

Chiroptérologue et Chargé de mission dans la prise en compte de la faune dans la gestion forestière à l’Office national des forêts.

1. On constate un besoin insatisfait de nature de la part des citoyens, d’où provient ce manque selon vous ?

La crise que nous traversons, avec certaines règles liberticides, a amplifié le besoin de liberté. La nature de manière générale offre des grands espaces dans lesquels chacun peut assouvir son envie de liberté. En effet, une simple balade en forêt, en bord de mer, ou une grande promenade en montagne permettent de parcourir des paysages diversifiés, dans lesquels on se retrouve face à soi-même, avec comme limites notre propre condition physique ou intellectuelle. Ce ne sont plus des règles qui entravent notre déplacement, mais nos propres limites. Chacun est alors face à lui-même, il n’a plus à jouer un rôle, comme la société nous l’impose la plupart du temps. Plus besoin de porter un masque en pleine nature. Je pense donc que cette recherche de vérité, de sincérité chez chacun de nous, nous invite à nous tourner vers la nature, pour ces raisons. Par ailleurs, en forêt ou à la montagne, le rythme change. On n’est plus sur la cadence infernale du fameux « métro, boulot, dodo », et il devient alors possible de se caler sur un rythme naturel, ce rythme dont on s’est éloigné au fur et à mesure dans la vie en ville, ce rythme calé sur les saisons, sur la météo. Même si on est parfois distant intellectuellement de ces rythmes naturels, nos corps, nos esprits, sont inévitablement influencés par ces cadences naturelles.

2. Quels conseils donneriez-vous aux citoyens qui souhaitent se reconnecter à la nature mais qui ne savent pas comment faire ?

Beaucoup de promeneurs et utilisateurs d’espaces naturels vont en pleine nature comme ils peuvent consommer d’autres bien accessibles. Alors, la rencontre devient difficile. Il faut la provoquer, mais cela implique de la respecter, et de prendre son temps. Il faut ainsi s’y rendre en ayant préparé sa sortie, avec le bon matériel bien sûr, mais aussi après avoir prévu un minimum sa sortie sur une carte. Les outils modernes sont d’une grande aide quand on a peur de se perdre, mais il me semble plus important de se laisser le temps de progresser lentement, en observant plutôt les points de référence naturels, ici un sommet, là un arbre caractéristique. On développe alors des capacités et des compétences favorisant une plus grande attention à ce qui nous entoure. Parfois même, se laisser le temps de se perdre un peu ne fait qu’enrichir ces compétences. Certains amis venus de la ville me demandent parfois comment aller en forêt sans se perdre, et sans risque. La forêt n’est pas risquée, la nature en générale ne l’est pas, en tout cas pas plus que la ville. Mais elles a ses propres règles, qui nécessitent de la patience, du calme. Pour les personnes qui ont peur de se perdre, une solution consiste à prévoir la journée pour une balade de 3 à 4h. Et si vous vous perdez, vous aurez le temps de rentrer, en suivant votre carte et ses points de repères naturels, pourquoi pas en fonction du soleil (pour identifier la direction que vous prenez). Et si votre angoisse monte progressivement, alors ressortez vos outils modernes, qui vous guideront jusqu’à votre point de départ. Puis, à force de patience, on provoque ainsi une rencontre avec la nature qui nous entoure, et une attention de tous les instants. Personnellement, cette démarche d’apprentissage m’a pris du temps. Ayant grandi dans une petite cité d’une petite ville d’Eure-et-Loir, je n’avais pas les prérequis pour savoir comment me connecter à la nature. Mais à force de patience et de persévérance, en acceptant aussi que certaines sorties soient « silencieuses », j’ai développé une plus grande attention à mon environnement. Progressivement, j’ai eu l’impression d’être de mieux en mieux connecté à ce qui m’entourait, et avec moi-même. Et au contact de cette nature si précieuse, j’ai eu le sentiment de m’ancrer dans ma vie.

3. À l’occasion de la sortie de votre livre "Être un chêne : sous l'écorce de Quercus" pourquoi la forêt, lieu de nature par excellence, est-elle la plus propice à nous véhiculer du bien-être ?

Pour moi la forêt est essentielle. J’ai besoin des arbres pour me sentir bien, comme rempli d’une énergie issue de la Terre qui m’offre un sentiment de plénitude. Pourquoi ce sentiment, que beaucoup de gens ressentent en forêt ? On y trouve une biodiversité exceptionnelle, avec des insectes, des oiseaux, des champignons, de nombreux organismes qu’on ne trouve que là. Malgré le calme apparent, la forêt est le théâtre d’une activité intense. De nombreux organismes se nourrissent de bois ou des feuilles. C’est le cas des chenilles, nombreuses en forêt (on en compte parfois près d’un million par hectare), qui raffolent des feuilles de chêne. Alors, les arbres se défendent, et fabriquent des molécules rendant les feuilles indigestes. Mais ils fabriquent aussi d’autres molécules informatives qui sont dispersées dans l’air, un cortège d’alcaloïdes, d’alpha-pinènes, de terpènes, d’huiles essentielles et bien d’autres, qui forment ce qu’on appelle des phytoncides. Nous captons ces molécules lors de nos promenades. Elles ont la particularité de solliciter notre système immunitaire, qui fabrique alors des lymphocytes NK, ces cellules tueuses qui nous défendent contre les virus et autres bactéries nocives. Par ailleurs, les arbres mettent en place un dispositif de cicatrisation des tissus abîmés, via de petites impulsions électriques. Les ions négatifs ainsi produits se dispersent aussi, et réduisent notre taux de cortisol, l’hormone du stress chronique, abaissant ainsi les risques de maladies cardio-vasculaires. Les arbres produisent l’oxygène que nous respirons, dont nous avons besoin. Puis lors de la fabrication des molécules permettant sa croissance, l’arbre pompe énormément d’eau dans le sol, mais en relargue une bonne partie par les feuilles, entrainant une atmosphère plus humide qu’ailleurs dans nos paysages, surtout lors des journées chaudes de l’été. On conviendra alors que la forêt et le contact avec les arbres constituent une source inépuisable de bien-être.

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