INTERVIEW

Marc André Sélosse

Biologiste, professeur et chercheur, président de Biogée, chroniqueur à France Inter.

1. 85% des citoyens ont un besoin de nature insatisfait, comment évaluez-vous notre rapport à la nature et au vivant en 2021 ?

Notre rapport à la nature est devenu plus complexe. En effet, nous sommes passés d’une biologie du visible à un monde de l’infiniment petit et de l’infiniment grand. En ce qui concerne l’infiniment petit, les virus par exemple, notre compréhension est moins intuitive que celle de ce que nous voyons, alors qu’ils font partie de la nature. Dans l’infiniment grand il y a la biodiversité, l’évolution, les écosystèmes. C’est plus diffus et ineffable qu’avant et cela suscite donc une distance, voire parfois une incompréhension. Il est difficile aujourd’hui de comprendre toute la nature, surtout depuis la ville.

2. À votre avis, que faut-il faire pour se reconnecter à la nature ?

Plusieurs choses sont à prévoir :

a) Il faudrait enseigner plus activement le monde naturel. Aujourd’hui, la part des Sciences de la vie et de la Terre est insuffisante. Or on ne peut comprendre ce que à quoi l’on n’a pas été sensibilisé.

b) De plus, il y a manque évident d’interdisciplinarité, en formation comme en journalisme ou en politique. Beaucoup d’objets naturels mériteraient un regard croisé. Par exemple, la compétition biologique permet de mieux appréhender la compétition économique et vice-versa ; le développement durable raisonne avec les SVT, l’histoire et la géographie, etc. Il faut développer une vision holistique, intégrative de notre milieu et de la nature – désenclavons les disciplines.

c) Enfin, pour ce qui est de la consommation, il faudrait un système de labels et d’étiquetages plus pertinents, précis et clairs. Lorsque je fais mes courses au supermarché, il m’est difficile de savoir d’où cela vient, comment cela a été fait et à quel prix, humain ou écologique. Manger un produit dont on connait la provenance, notamment un produit local, est un premier pas vers la reconnexion à la nature. Car oui, c’est notre carte bleue qui fait le climat et la gestion de la nature. Nos actes d’achats et de consommation sont essentiels pour se réapproprier la nature qui nous entoure.

3. Vous venez de lancer la Fédération « BioGée » pour promouvoir les sciences du vivant et de la Terre, quelles actions allez-vous mettre en place pour accompagner les citoyens vers la reconnexion aux sciences de la nature et du vivant ?

C’est une fédération d’Académies, de sociétés scientifiques, d’associations de journalistes et d’entreprises (biogee.org), qui rassemble aussi des personnalités du monde scientifique et médiatique. Nous allons mener une triple action autour des sciences du vivant et de l’environnement :

a) Tribunes dans des journaux sur des sujets liés à nos disciplines, tel que pourquoi la biologie est-elle devenue une affaire de formation citoyenne,

b) Lobbying pour favoriser l’apprentissage de nos disciplines dès l’école primaire, pour former les citoyens de demain et rendre leurs choix informés, sinon responsables.

c) L’organisation de journées annuelles thématiques dans une ville qui sera bientôt annoncé ; la prochaine (1-3 avril 2022) sera par exemple consacrée à la ville comme lieu de nature.

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Chiroptérologue et Chargé de mission dans la prise en compte de la faune dans la gestion forestière à l'Office national des forêts.

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